Une idée reçue: jouer avec le poignet

7 février 2019 par Nicolas Féroul


S’il est une habitude, c’est de décrire l’attaque des cordes d’une guitare ou d’une basse au médiator comme celle d’une peau d’un fût de batterie comme un mouvement du poignet. On entend communément dire, à commencer par des enseignants, que pour bien jouer, il faut « jouer avec le poignet ».

Mais pourquoi faudrait-il absolument utiliser le poignet?

Concrètement, en s’en tenant au sens stricte de l’expression, « jouer avec le poignet » consiste à isoler les mouvements de la main (monter et descendre) du reste du bras. Pour cela, il est nécessaire d’immobiliser le bras entier pour lui éviter d’entrer dans le jeu et que seule la main bouge, a priori grâce aux muscles situés autour du poignet.

Les raisons de ce jeu au poignet ne sont pas toujours clairement évoquées. Néanmoins, on peut trouver plusieurs justifications complémentaires qui ont trait à l’amplitude du mouvement d’attaque :

_ L’amplitude du geste de la main est bien évidemment beaucoup plus faible que celle du bras qui se plie et se déplie (jeu avec le « coude »). Or, pour jouer vite on ne peut pas se permettre de faire de grands gestes amples, on n’en a effectivement pas le temps.

_ Une faible amplitude de mouvement permet une attaque plus précise. Par exemple, le jeu avec le coude serait adapté à l’exécution d’une rythmique sur les 6 cordes d’une guitare mais serait trop imprécis pour réaliser cette même rythmique sur une seule corde.

_ En isolant ainsi la main du reste du bras, on utilisera seulement quelques muscles pour réaliser l’attaque. La conséquence serait une utilisation bien moindre d’énergie musculaire. Il s’agit surtout de mettre en mouvement la zone la plus éloignée de ce qui, dans notre imaginaire, représente la puissance du bras, le muscle biceps (si pas de biceps alors pas d’énergie excessive). Comparé à des mouvements du « coude », le jeu au poignet serait donc beaucoup moins fatiguant.

Le jeu au poignet plus économe?

C’est la raison peut-être la plus invoquée pour justifier le jeu avec le poignet. Le mouvement du bras serait trop énergivore.

En ne veillant qu’à bouger la main sans impliquer le bras dans son ensemble, on n’utilise que les muscles du poignet sans recours aux muscles du bras dans son ensemble (responsables d’efforts qu’on pourrait dès lors qualifiés d’inutiles).

Tout cela semble très logique et très sensé. Pourtant, rappelons cette évidence que le poignet est une articulation et pas un muscle. Il est composé d’un ensemble de petits os (le carpe) situés à la jonction entre l’avant bras (le radius et le cubitus) et les os de la main (le métacarpe). Pour que la main se lève il faut que des muscles tirent les tendons qui courent de l’avant-bras à la main. Or les muscles extenseurs du poignet sont situés… dans l’avant-bras. Jouer avec le poignet signifie donc en réalité jouer avec les muscles de l’avant-bras. Le mouvement de la main paraît d’un coup beaucoup moins indépendant. (1)

C’est pourquoi lorsque l’on accentue un peu la montée et la descente de la main, cette opération devient très vite coûteuse en énergie musculaire au niveau de l’avant-bras. Pire, si on souhaite produire un son à un volume élevé, l’énergie musculaire déployée pour lever la main et taper fort devient très importante et les muscles de l’avant-bras s’épuisent très vite. Jouer avec le poignet interdit donc de jouer à un volume sonore élevé, à moins de vouloir créer et maintenir des tensions musculaires très fortes dans l’avant-bras qui sauront être très efficaces pour empêcher le progrès technique (c’est s’épuiser pour pas grand chose).

Ainsi, ce mouvement du poignet n’est en fait pas en lui-même moins coûteux qu’un autre. On peut même aller plus loin et affirmer qu’il n’y a pas, en réalité, de geste plus économe en soit : c’est la quantité d’énergie que l’on décide de mettre dans un mouvement qui compte, pas le mouvement lui-même.

Le jeu au poignet et l’amplitude du mouvement

On l’a dit, la raison d’être du jeu au poignet est sa supposée capacité supérieure à réduire l’amplitude de l’attaque. Le mouvement du coude (plier et déplier le bras) ne permettrait pas d’obtenir de mouvements suffisamment fins pour jouer vite ou à faible volume (nuances). On n’aurait pas d’autres choix dans ces deux cas que de jouer avec le poignet.

Or, ce postulat ne repose sur rien d’autre qu’une vague impression et une logique simpliste. Ce n’est pas parce qu’il y a une baisse d’amplitude que l’on passe du bras au poignet ou que la mécanique change du tout au tout. (2) Personne n’oserait affirmer que plus on réduit la marche plus on marche avec les chevilles ! Pourtant, si on appliquait la logique du « jeu au poignet » aux jambes (le bras et la jambe étant construit sur le même modèle), on affirmerait alors que l’on court avec les genoux et que l’on marche avec les chevilles… Cela n’a évidemment aucun sens. (3)

La réalité est que la capacité d’un musicien à exécuter des mouvements de faible amplitude n’a rien à voir avec le fait de jouer avec le poignet ou n’importe quoi d’autre. Sur un instrument de musique, la faible amplitude est la manifestation d’une grande précision, le révélateur d’un geste maîtrisé.

Imposer un geste « serré » à un débutant revient à lui demander de commencer par la fin. Un exemple est de demander à un apprenti guitariste ou bassiste de bloquer le bras contre le corps de l’instrument pour l’assurer de n’attaquer qu’une seule corde sans même frôler les autres. Cela l’oblige à réaliser un geste physiquement contraignant (qui ne l’empêche d’ailleurs pas de rater la corde qu’il vise) qui complexifie grandement le changement de corde et qui rend la pratique de l’arpège particulièrement laborieuse. Comme pour obtenir un volume sonore élevé avec un mouvement de poignet, bloquer les bras est là encore d’une rare efficacité pour freiner l’apprentissage d’un instrument de musique. Ne vaut-il pas mieux respecter la logique : progresser du mouvement ample vers le mouvement fin ?

Les enseignants font trop souvent comme s’ils étaient des spécialistes de la motricité humaine, chose qu’ils ne sont pas du tout (et que nous ne sommes pas non plus). Ce sont en réalité des opérations bien plus larges et complexes qui sont en œuvre quel que soit le geste et son amplitude. Les muscles forment un système permettant tout un panel de variations possibles prêtes à être exploitées et que le cerveau est parfaitement capable d’utiliser et de combiner. Les muscles sont complémentaires et il ne faut surtout pas gêner cette complémentarité (en immobilisant les bras par exemple). C’est cette complexité là qui est mise en œuvre par les musiciens.

Maintenant, qu’on se rassure, il n’est absolument pas nécessaire de rentrer dans le détail de la mécanique du corps humain pour arriver à jouer d’un instrument de musique. Le corps (le cerveau pour être exact) sait très bien faire tout seul, sans besoin de notre conscience. Sinon à quel âge pourrions-nous envisager de commencer à marcher, à courir ou à sauter…

Conclusion:

_ Jouer d’un instrument de musique n’est pas tributaire d’un mouvement en particulier mais au contraire de la combinaison d’un ensemble vaste de gestes divers et complémentaires que notre corps a la capacité d’exploiter et d’automatiser sans que nous en ayons conscience.

_ Tout comme les enfants en bas âge n’ont pas besoin d’une synthèse d’études médicales sur la motricité des jambes pour apprendre à marcher, savoir quels gestes et quelles mécaniques du corps sont à mettre en action pour jouer d’un instrument de musique est une connaissance qui n’a pas du tout d’intérêt pour l’apprenti musicien. On se doit d’utiliser les ressources dont le corps humain dispose. Les seules véritables prérogatives sont de partir des mouvements qui nous sont les plus évidents, autrement dit les plus naturels, en évitant le recours à une force physique excessive (on joue vite parce qu’on ne sent pas vraiment que l’on joue).

_ Le geste du poignet est un geste laborieux qui nécessite beaucoup de concentration pour garder le bras immobile et qui est tout aussi coûteux en énergie musculaire que n’importe quel autre. À cela, il a aussi le désavantage d’être un mouvement imprécis et faible qui ne permet de jouer ni vite ni fort. Sans compter que l’immobilisation du bras génère des crispations qui n’auront d’autres faits que de freiner l’apprentissage.

Dans nos cours, nous n’utilisons jamais cette expression et ne donnons donc jamais comme consigne ni de jouer avec le poignet ni de bloquer les bras, bien au contraire.


(1) D’ailleurs, le fait de plier et déplier le coude n’est pas un mouvement moins isolé que celui de la main puisque pour réaliser l’action on utilise des muscles situés dans le bras proprement dit (entre le coude et l’épaule) sans recours particulier aux muscles de l’avant-bras. Mouvements de poignet ou mouvements de coude ne sont donc pas plus des gestes isolés les uns que les autres (ce n’est qu’une impression visuelle, pas une réalité musculaire), c’est simplement la « zone d’effort » qui change (muscles de l’avant-bras ou muscles du bras).

(2) Ce n’est pas non plus parce que la main bouge au bout du bras que cela signifie qu’il y a une action du poignet (donc des muscles de l’avant-bras). On peut attaquer en veillant à garder le poignet souple c’est-à-dire totalement relâché, les muscles de l’avant-bras ne travaillant pas à tirer la main vers le haut ou le bas. La main semble, dans ce cas, « comme morte ». C’est l’inertie provoquée par les mouvements du bras qui entraîne le mouvement de la main. Il n’est pas nécessaire que l’énergie musculaire utilisée pour réaliser ces mouvements du bras soit importante pour que la main bouge à la jonction du poignet. 

(3) Dans les cours de batterie, il est très courant de ne pas appliquer les mêmes principes aux mains et aux pieds. Si l’on évoque très fréquemment le recours au poignet, on n’entend jamais dire qu’il faut frapper la grosse caisse avec la cheville. Au contraire, on encourage facilement les apprentis batteurs à lever le talon et à réaliser un mouvement de la jambe. Nous ne pouvons pas ne pas y voir un profond paradoxe.

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