Décomposer gestes et postures: Bonne ou mauvaise idée?

10 juillet 2019 par Nicolas Féroul

Décomposer les gestes que l’on peut observer chez les musiciens ; déstructurer un mouvement, telle la frappe d’une caisse claire, en différentes étapes paraît être un acte hautement pédagogique synonyme de sérieux et de rigueur. Ainsi, on voit souvent sur des sites internet des photos de décomposition de geste en un nombre variable d’étapes (parfois plus de 10). Certains n’hésitent pas à réaliser des calculs d’angles des articulations (c’est plus rare heureusement mais cela existe quand même). Tout ceci dénote d’une véritable volonté d’être précis et de transmettre un savoir technique de la meilleure façon possible. Pourtant, c’est peut-être la pire des manières de procéder.

En effet, décomposer le geste induit de créer des pauses (des interruptions) dans un mouvement qui est en réalité un mouvement d’ensemble. C’est un tout qui se réalise d’une seule traite. Par exemple, décomposer l’attaque d’une caisse claire en deux mouvements distincts, le premier vers le bas et le second vers le haut, induit de créer une étape, une pause. On doit garder la baguette contre la caisse claire après le mouvement vers le bas puis remonter la baguette vers son point de départ. Le problème est que lorsqu’on frappe une peau de caisse claire, on laisse rarement naturellement la baguette contre cette même peau. Au contraire, le bras se relève instantanément après la frappe (sans qu’on ait besoin d’y penser), de sorte que les mouvements vers le bas et vers le haut sont vécus comme un seul et même mouvement. Bloquer la baguette contre la peau demande aux muscles d’empêcher la remontée naturelle du bras et génère une crispation du bras qui n’existerait pas sinon. Déstructurer coupe donc la mécanique naturelle du corps en nous incitant à réaliser plusieurs mouvements enchaînés sans lien entre eux (tout en rendant le geste plus compliqué que ce qu’il est en réalité).

Prenons l’exemple en batterie de la mode (car il y a des modes dans tous les domaines) des « techniques » de frappe que sont le moeller, le free strock ou encore le push pull (et on en passe et des meilleurs). C’est exactement ce que nous leur reprochons, ces « techniques » sont systématiquement présentées déstructurées autour de multiples étapes qu’un élève devra s’évertuer à rassembler avec le danger de ne jamais pouvoir naturaliser les différents mouvements, c’est à dire de faire de toutes ces étapes un seul et même geste. Ajoutons à cela qu’un débutant, à l’heure actuelle, peut imaginer que ces « techniques » ont toujours existé et que leur apprentissage a toujours été nécessaire. Or, il n’en est rien : ce sont des modes et rien d’autres.

D’où viennent ces décompositions ?

La réponse est très simple : elles viennent de l’observation des postures et des gestes de musiciens techniquement aboutis. La logique est facile, si un virtuose s’y prend de telle manière pour jouer alors il nous faut nous aussi adopter cette manière pour être sûr de progresser.

En quoi cela pose-t-il problème ?

Le problème est que la logique est bien trop simple justement.

D’abord, parce que dans ces observations, il nous manque en réalité le plus important : le cheminement vers les postures et les mouvements du virtuose que l’on observe. Car, virtuose, il ne l’a pas toujours été. Comme tout le monde, il a débuté un jour l’instrument et il est certain qu’il n’avait pas à ce moment là les gestes et les postures qui seront les siennes des années plus tard. Il a commencé, lui aussi, avec des mouvements et des positionnements grossiers et maladroits.

Ensuite, parce que beaucoup de ces descriptions de mouvements reposent sur l’observation de gestes acquis sans qu’on ait eu besoin nous-même de les décomposer, autrement dit on déstructure des gestes acquis naturellement (c’est le « je me suis rendu compte que je faisais telle chose »). On est dans le cas d’une prise de conscience après coup, on ne sait donc pas consciemment ce qui s’est passé, ce que sont les déterminants des mouvements décrits (pour rappel, personne n’a appris à marcher en y réfléchissant consciemment mais grâce au travail de l’inconscient).

Enfin, et de façon plus fondamentale, ces déstructurations peuvent handicaper le processus de tâtonnement nécessaire pour que le cerveau détermine les bonnes procédures et les optimise. Elles produisent un contexte contraignant qui obligent le cerveau à trouver des mouvements qu’il n’aurait pas élaborer exactement de la même manière ou auxquels il aurait aboutit en passant par un autre cheminement dans un contexte plus libre. Et c’est cela qui est vraiment important : pouvoir suivre son propre cheminement. Car si un cours doit bel et bien nous donner un cadre, il doit surtout veiller à ne pas nous enfermer dans un cadre qui ne peut pas nous convenir.

Pour justifier l’utilisation de ces déstructurations on utilise toujours le « ça a marché pour moi ou pour tel autre». Or, si cela a fonctionné pour quelqu’un, peut-on savoir pour combien cela n’a pas été le cas ? Ensuite, on peut se persuader que l’on a atteint un niveau technique très élevé sur une batterie parce qu’on nous a imposé l’apprentissage du free strock par exemple. On peut se persuader qu’on doit tout à cette « technique » mais on ne peut jamais savoir si tel est bien le cas. Pour cela, il faudrait se munir d’un appareil, comme une télécommande munie d’un bouton retour rapide pouvant nous ramener où bon nous semble dans le temps. Il nous faudrait revenir au moment où l’on a commencer l’apprentissage du free strock et décider de ne pas l’apprendre cette fois-ci pour voir quel niveau on aurait fini par atteindre sans cette « technique ». On l’aura compris, cette télécommande n’existant pas, cette connaissance est impossible à acquérir.

Ainsi, déstructurer en détail des mouvements et des postures, de surcroît acquis naturellement, est quelque chose à éviter la plupart du temps. Elle mène le plus souvent les apprenants sur un chemin qui n’aurait pas été le leur sinon et qui les empêche de développer leur naturel (nous passons nous-même beaucoup de temps à « rattraper » nombres de gens qui en ont besoin). Après tout, si l’on peut décortiquer un si grand nombre de gestes et de postures différents chez un un si grand nombre de musiciens pour quelque chose d’aussi simple, par exemple, qu’une frappe de caisse claire, c’est qu’un grand nombre de chemins peuvent être suivis pour arriver à un même résultat.

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